Qui a dit que l’hypnose était l’apanage de l’homme ? Kircher, en 1646, décrit pour la première fois une réaction d’immobilité ré?exe chez le poulet auquel on impose un décubitus latéral forcé : c’est un comportement involontaire, réversible, inconditionnel, stéréotypé, caractérisé par une hypo-réactivité et évoqué par différents stimuli. Les techniques utilisées sur de nombreuses espèces (araignée, grenouille, lézard, poule, lapin, chat, bovins…) sont : le placage au sol, le retournement sur le dos, le pincement de la peau (clipnose), ou des stimuli visuels répétitifs. Ces réactions sont fréquemment attribuées à une valeur adaptative dans les interactions proie-prédateur et le comportement sexuel.
Cet état d’Immobilité Tonique a été découvert en 1960 par Samuel Grubber qui lui donna son nom. C’est en mettant un requin sur le dos que Grubber s’est aperçu que celui-ci entrait dans une sorte de transe. Tous ses signes vitaux étaient normaux mais le requin ne réagissait plus aux stimuli externes, et présentait une anesthésie partielle permettant les soins. Bien que cet état puisse paraître étrange – car c’est un moment de vulnérabilité – il est tout ce qu’il y a de plus naturel et n’est pas forcément induit par l’homme. En effet, la roussette brune entre d’elle- même en catalepsie si elle est dérangée ou si elle se sent en danger (d’où son nom anglais de « shy shark », qui signi?e requin timide). De façon encore plus impressionnante, les requins taureaux se servent de l’immobilité tonique lors des accouplements. Le mâle met la femelle sur le dos et elle entre en catalepsie. Elle reste alors « hypnotisée » pendant environ vingt minutes !
Il existe deux façons de faire rentrer un requin en catalepsie :– Lorsque le requin est mis sur le dos, sa perception de la gravité et son champ visuel sont inversés ce qui provoquerait une surcharge sensorielle. Cela engendre une sécrétion de sérotonine par le cerveau, d’où découle l’état d’immobilité tonique. Avec cette méthode, on peut toucher les yeux du requin ou ses branchies
sans qu’il ne bronche. Pour le faire sortir de sa torpeur, il suf?t de le remettre à l’endroit. Cette méthode ne convient cependant qu’aux requins de petite taille…
– La deuxième méthode peut être quali?ée de « méthode douce ». En effet, on peut faire rentrer les requins en état d’immobilité tonique en les caressant. Leur « museau » est criblé de capteurs sensoriels, appelés ampoules de Lorenzini. Lorsqu’on les caresse à cet endroit, leurs muscles se détendent complètement et ils s’abandonnent (comme sur la photo, où Mike Rutzen, plongeur sud-africain et défenseur de la cause des squales, fait rentrer un requin de récif en catalepsie, et le tient par le bout du nez !). Cependant, il ne faut toucher ni les yeux ni les ouïes sinon ils se réveillent instantanément. Il semble que les requins apprécient ces caresses et que les femelles y soient tout particulièrement sensibles.
Bien sûr, la plupart d’entre nous ne tentera probablement jamais cette expérience sur un squale affamé ! Mais il est intéressant de s’interroger sur le caractère universel de l’hypnose et sur les apports des expériences animales sur la compréhension de son mécanisme d’action…