Si le temps humain est une réalité construite, plastique, il est alors possible de le reconfigurer pour en transformer les effets. La transe, en ouvrant un accès aux perceptions imaginaires, permet de faire l’expérience d’un temps différent, propice au changement. Les phénomènes de distorsion temporelle sont abondamment décrits dans la clinique de l’hypnose, les techniques de recadrage, de régression ou de progression temporelle ouvrant un accès privilégié aux forces de transformation inconscientes.
Etre en pleine conscience ici et maintenant
Toutes les grandes traditions méditatives accordent une place centrale au concept de temps. Analysant la philosophie Taoïste et le Bouddhisme Zen autant que les mythes chrétiens, Eckart Tolle, dans son ouvrage : « Le pouvoir du moment présent », nous encourage à bien faire la différence entre le « temps horloge », réalité physique extérieure à nous et dont il faut bien sûr savoir tenir compte, et le « temps psychologique », véritable incarnation d’un apprentissage culturel du temps, source de toutes sortes de distorsions de la pensée et des émotions. Le temps n’existe que dans la mesure où il est présent. Le présent du passé, c’est la mémoire, le présent de l’avenir, c’est l’attente, le présent du présent, c’est la perception. Tant qu’on est identifié au mental, on est prisonnier du temps, et une compulsion nous incite à vivre presque exclusivement en fonction de la mémoire et de l’anticipation.
S’identifier au mental accentue la dimension temporelle. Observer le mental donne accès à la dimension intemporelle. De ce point de vue, l’injonction séculaire d’être « un et éternel » ne se réfère pas à une quelconque immortalité, mais juste à la nécessité de se connecter à l’instant présent, par définition hors du temps. Afin de se débarrasser de cette mal-édiction temporelle qui nous dissocie de l’essence de la réalité.
Songeons un instant à la manière pathologique dont ce temps internalisé peut conditionner notre existence. Erickson avait pour habitude de dire que quand on a mal, on souffre trois fois : de la douleur objectivement présente – signal d’alarme physiologique essentiel – mais aussi des anciennes douleurs revivifiées, ainsi que par l’anticipation du développement futur de cette douleur. De la même manière, de nombreux symptômes se trouvent piégés par notre représentation du temps : dans le syndrome post-traumatique, le patient se retrouve figé à un moment de son existence et ressasse au présent son trauma passé en boucle. Idem pour les syndromes dépressifs où il se perd en nostalgies, regrets, remords et autres récriminations. L’anxiété, l’angoisse ou la phobie ne sont en fait que des émotions suscitées par l’imagination d’un futur terrifiant, là où encore, il ne se passe rien. On comprend ainsi que cette distorsion de la pensée est à l’origine d’un stress quasi permanent et presque invisible. Comment alors sortir de ce conditionnement délétère ? Grâce au bon vieux principe utilisationniste : ce que l’inconscient peut faire, il peut le défaire.
Le recadrage temporel
En éliminant la reviviscence des troubles passés et leur projection dans l’avenir, on peut déjà en retirer les deux-tiers… Le patient douloureux a souvent tendance à surestimer, par généralisation abusive, la fréquence ou la durée de ses troubles. Il croit souffrir «tout le temps». En prenant conscience des moments de répit, voire en les augmentant par distorsion temporelle, il peut y trouver une voie de soulagement. De même, l’utilisation des présuppositions liées au temps permet d’ancrer le problème au passé, et la solution au présent.
La régression en âge et l’hypermnésie
En transe, il est possible de retourner dans le passé (ou les souvenirs), de manière, comme en hypnoanalyse, à explorer la cause d’un symptôme, à revisiter un traumatisme pour mieux le recadrer, le transcender. La régression permet aussi d’aller à la rencontre d’un apprentissage, d’un affect positif, d’une situation ou d’une personne signifiante, afin d’en extraire une ressource utile à la thérapie. Pour exemple le tour de force d’Erickson dans son cas de «l’homme de février», où il parvient, en réinventant l’histoire de sa patiente, à lui insuffler les facultés dont elle a besoin pour changer sa vision de la vie.
La progression en âge
Rien n’empêche d’utiliser l’imaginaire et la créativité du patient pour aller de l’avant. Et de faire l’expérience – dans le futur imaginé – du problème dépassé, de la solution adoptée. Pour en revenir, chargé de capacités nouvelles et d’émotions positives (cf. la question-miracle de Steve de Shazer). C’est par ailleurs cette projection vers l’avenir qu’on manipule à chaque fois qu’on utilise une suggestion post-hypnotique, véritable conditionnement qui associe un état interne ou une action automatique à un signal récurrent à venir. Ce qui permet de renforcer et de généraliser les effets de la séance. On peut voir la progression en âge comme la création d’une « prophétie auto-réalisante », c’est-à-dire comme l’attente d’un changement comme base d’acquisition d’un nouveau comportement plus adapté.
L’amnésie
La mémoire n’est pas figée, elle subit un remodelage constant. Le mécanisme de défense du refoulement, associé à la dissociation, se réfère à la capacité de l’esprit de déplacer des pensées ou des pulsions menaçantes dans l’inconscient, permettant d’éviter consciemment d’avoir à reconnaître et agir sur cette menace. Structurer l’expérience hypnotique pour créer les conditions dans lesquelles une information peut être oubliée peut être utile au cours du traitement. Paradoxalement, «oublier le futur» reviendrait à apprendre à ne plus vivre dans l’attente d’un futur, pire (l’inquiétude) ou même meilleur (l’espoir). C’est ce à quoi nous invite le philosophe André Comte-Sponville en faisant dépendre notre bonheur de notre capacité à dés-espérer…
Omniprésent, multipotent, universel et insaisissable, le temps structure la moindre de nos pensées, régit chacun de nos comportements, encadre toute sensation. Il s’impose d’autorité comme l’illusion suprême. Mais pour peu qu’on en saisisse la relativité, et qu’on en utilise la plasticité, il en devient alors le terrain de jeu privilégié de la thérapie hypnotique.