Dans les grottes du Paléolithique ont été retrouvés des milliers d’images fragmentaires de grande qualité artistique, datant de la période Aurignacienne (40.000 ans av. JC) jusqu’à la période Magdalénienne et Azilienne (10.000 ans av. JC). Celles-ci représentent des animaux et des symboles abstraits, alors que des ?gures humaines apparaissent très rarement. Les plus anciennes images de l’âge de pierre réalisées par l’homme représentent des créatures mi-humaines, mi-animales, se tenant en général debout, avec le haut du corps animal et la partie inférieure humaine. Par exemple, dans la caverne du Chauvet (30.000 av. JC), on trouve un être mi-homme, mi-bison (1). Dans la grotte de Vogelherdhoehle en Allemagne, une statuette d’ivoire de mammouth datant de 30.000 ans, représente un homme-lion (4). Il est particulièrement frappant que ces images supposément magiques soient seulement trouvées dans des recoins dif?ciles d’accès ou tout au fond des cavernes. Un grand nombre d’auteurs suppose que certaines de ces images peuvent être interprétées comme des pratiques de transe. Ce que l’observation des cultures modernes semblent con?rmer : par exemple, les peintres de grottes des Sandave de Tanzanie exécutent leurs œuvres dans un état proche de la transe. Ceci suggère aussi un lien avec le port de masques dans les cultures traditionnelles modernes, où on accède – à travers la transe – à la force et au pouvoir de l’animal incarné par le masque. La transe permet ainsi au sujet d’abandonner son orientation envers la réalité immédiate, a?n de faciliter sa connexion à un autre cadre d’expérience, caractérisé par une sensation de pouvoir et de con?ance.
La célèbre scène de la grotte de Lascaux (2), qui montre un homme-oiseau, un sceptre en forme d’oiseau et un bison blessé, date du Magdalénien (15.000 av. JC). Cette peinture ne pouvait être atteinte que par des individus utilisant une corde pour descendre dans un profond puits de la grotte. L’inaccessibilité de cet endroit révèle l’importance de la peinture, qui a reçu différentes interprétations. Plus fréquemment, elle est associée à des pratiques de transe chamanique : le sorcier a effectué un rituel particulier, destiné à modi?er son état de conscience, à lui faire prendre la forme d’un oiseau, a?n de voler dans l’autre-monde. Il gît à terre, les quatre membres raides, dans une sorte d’état intermédiaire entre la vie et la mort. Il célèbre une cérémonie qui a pour but, par l’entremise de la transe, d’harmoniser les rapports à l’intérieur du groupe humain auquel il appartient, ainsi que de dompter les éléments menaçants de la nature environnante.
L’un des meilleurs spécialistes du Paléolithique, Jean Clottes, propose la théorie selon laquelle les peintures de cette époque représentent des expériences de transe des chamanes de l’âge de pierre. Et que ces images servaient à assister les visions induites par la transe. Cet auteur pense qu’il y avait différents stades dans l’expérience de transe. La première est caractérisée par la contemplation ou la perception de ?gures géométriques, du genre de celles retrouvées dans la grotte El Castillo en Espagne (3). Dans la seconde phase, une signi?cation est attachée à l’image géométrique et correspond à une certaine émotion (par exemple, la peur transforme une ligne sinueuse en un serpent rampant). Dans la dernière phase se développe une transformation de l’identité, où le sujet se transforme en un autre homme ou en animal. Ces conceptions de l’expérience de la transe correspondraient ainsi aux images peintes dans les cavernes de l’âge de pierre, dont les parois pouvaient être considérées comme des interfaces de transmission entre l’expérience terrestre et le monde spirituel – l’être magique du monde des esprits délivrant sa force et son message à travers le chaman.
Nous ne saurons probablement jamais à quoi les peintures de l’âge de pierre servaient vraiment. Cependant la comparaison avec les peuples de chasseurs-cueilleurs modernes suggère une corrélation plausible entre l’utilisation de la transe et les rituels de l’âge de pierre. Ainsi serait née la mère de toute médecine…