Recâbler le cerveau pour se libérer de la peur
Il est important de bien comprendre le mécanisme neuronal de la peur, non seulement pour en comprendre l’intérêt, mais aussi pour pouvoir prendre en charge ses dysfonctions, telles que l’anxiété, la panique, la phobie, etc… Son intérêt ? Ce processus émotionnel, instinctif, assure avant tout un rôle essentiel de protection, en nous mettant en alerte face à un danger, et prêt à nous en extirper – certes de manière archaïque – par le combat, la fuite ou la sidération.
Schématiquement, la peur peut être déclenchée par les réactions à notre environnement, ou par ce à quoi nous pensons. Tout commence par une perception d’un danger extérieur, grâce à nos sens. Celle-ci est relayée par le thalamus, qui joue le rôle d’une gare de triage, et envoie ce signal à travers deux voies d’activation de la peur : une voie rapide – directe amygdalienne – et une voie plus lente – indirecte et corticale (qui va traiter l’information, soit en interprétant le message comme dangereux ou non, soit en créant des pensées ou des images capables à elles seules de renvoyer un message d’alerte à l’amygdale). Quelle que soit son origine, la stimulation du noyau central de l’amygdale, suite à la perception d’un danger – réel ou imaginaire – entraîne une réaction non spécifique et automatique. L’activation de l’hypothalamus aboutit à la sécrétion des hormones du stress (cortisol et adrénaline), qui préparent le corps à une action immédiate. Le cortisol augmente le taux de sucre dans le sang, donnant ainsi l’énergie dont vous avez besoin pour utiliser vos muscles. L’adrénaline vous procure une sensation d’énergie, qui aiguise vos sens, accélère votre fréquence cardiaque et votre respiration (hyperventilation), et peut même vous empêcher de ressentir de la douleur.
Le rôle de l’amygdale est aussi d’attacher une signification émotionnelle aux situations ou aux objets et de former des souvenirs émotionnels. Cette mémoire est non consciente (implicite) et fonctionne par association. Dans toute situation menaçante, l’amygdale s’efforce d’identifier toute information sensorielle présente au moment du danger. De cette manière, les éléments perçus au cours d’un événement effrayant peuvent être engrammés sous la forme de déclencheurs. L’association est donc une partie essentielle du langage de l’amygdale, ce qui nous fait comprendre que les émotions qu’elle engendre ne sont pas toujours rationnelles. Elles sont basées sur de simples associations et non sur de la logique. L’anxiété, les réactions phobiques, ou les attaques de panique se produisent généralement lorsque l’amygdale répond à un déclencheur dont on peut ne pas être conscient, et sans lien direct autre que d’avoir été là au mauvais moment. Par exemple, une victime peut percevoir le parfum particulier de son agresseur, sans s’en souvenir de manière explicite. Plus tard celle-ci peut faire une crise de panique – déclenchée implicitement par ce parfum – dans un environnement particulier (comme le métro), et y associer cette mauvaise expérience. Pour au final, devenir phobique du métro, voire de tous les transports en commun, et sans rien y comprendre…
L’amygdale n’est pas seulement plus rapide, elle a également la capacité neurologique de prendre le pas sur les autres processus cérébraux. Et à cause de ce câblage, il est difficile d’utiliser la pensée et le raisonnement (comme dans les traitements empruntant la voie corticale : restructuration cognitive, recadrage…) pour contrôler son activation. Si on veut que l’amygdale change sa réponse à un objet (par exemple, une odeur) ou à une situation (comme le métro), il faut lui fournir une nouvelle expérience avec l’objet ou la situation pour qu’un nouvel apprentissage implicite se produise. Parce que l’amygdale apprend sur la base d’associations, elle doit subir un changement dans ces appariements pour que les circuits changent. C’est un défi car cela implique d’accepter l’expérience de la peur comme étant nécessaire à la réalisation de ce nouvel apprentissage. En engageant votre patient dans des expériences qui activent la mémoire de l’amygdale (d’un objet ou d’une situation spécifique), vous communiquez avec elle dans son propre langage (l’association) et la placez dans la meilleure situation pour que de nouveaux circuits se forment.
Joseph Wolpe, avec la « désensibilisation systématique par inhibition réciproque« , a démontré que si une personne peut apprendre à remplacer sa réponse habituelle de peur à un stimulus donné par une réponse de calme, de contrôle et de tranquilité, alors l’anxiété relative à ce stimulus s’éteint, car il est impossible d’être détendu et anxieux en même temps.
Le pouvoir de la thérapie d’exposition réside dans le fait de donner à l’amygdale de nouvelles expériences qui l’incitent à établir de nouvelles connexions. Revivre une situation apparemment menaçante sans que rien de négatif ne se produise peut apprendre à l’amygdale qu’elle ne nécessite pas la réponse conditionnée de peur. L’idée va donc être d’entraîner la personne à identifier le ou les déclencheurs, et de s’y exposer de manière graduelle, tout en faisant en même temps une expérience sécure. En lui apprenant des techniques psycho-corporelles (respiration, relaxation), en ancrant les ressources nécessaires dans l’espace thérapeutique, en utilisant une dissociation contrôlée, on l’aide à changer sa réponse automatique par un apprentissage implicite.